Faire l’amour, c’est refaire l’amour. Et le faire mieux, ou moins bien, ou différemment.
Ou pas(1).
Vous qui m’aimez, et qui tous les deux mois collez frénétiquement ces éditos en lieu et place de vos vieilles figurines Panini, n’avez pas été sans noter ma fascination un rien perverse
pour les figures de la répétition. L’année nouvelle est une répétition. Ce qui doit être fait l’a déjà été. A chaque seconde, les pièces du puzzle s’assemblent, un peu à côté. Qu’est-ce
qui fera 2013 différente de 2012 ? Ah.
Ainsi, la vie humaine peut être appréhendée comme une œuvre d’art, qui, à l’instar du cinéma, gomme l’unique, le tableau, le flash, le hapax existentiel (2), et nous invite à trouver du sens dans la durée. Ou pas. Le cinéma, c’est 24 fois la vérité par seconde ? Quelques secondes, et la vie est écoulée. Il ne faut
pas se tromper. Ou pas.
En-dehors des exaltantes perspectives philosophico-esthétiques déjà évoquées ici (eh oui…), et plus trivialement, chers amis, nous qui jouons et rejouons, sommes confrontés tous les jours
à la possibilité de devoir nous répéter. Non seulement avec nos instruments, mais quant à nos convictions, s’extirpant au forceps de la gangue de nos notes, de nos pensées ressassées.
Demandez, par exemple, à l’ami Epistémologix. Tel le Schpountz de Pagnol déclamant sur tous les tons possibles « tout condamné à mort aura la tête tranchée », il glose, dans les
colonnes de Trad Magazine, sur à peu près le même sujet depuis 10 ans, à savoir l’impossibilité de recréer à l’identique les musiques des sociétés traditionnelles, tout en se moquant de
ceux qui justement essayent de faire autrement. L’équation esthétique qu’il met en tension, pourrait s’exposer ainsi : refaire, justement, pour ne pas revivre.
Un autre exemple : en admettant que j’ouvre le magazine pré-cité, et que je tombe, en 2013, sur deux pages présentant le schéma d’une épinette de Gérardmer en kit, à fabriquer
soi-même, ma première réaction serait « Motherfolker ! A quoi ça sert ? L’Escargot Folk l’a déjà fait en 1976. » Et puis je me frapperais le front : « Mais,
triple buse ! Une génération a passé, ils sont tous devenus traders les folkeux de 1976. »(3) L’homme oublie (Nietzsche). L’équilibre humain
s’établit sur un fil des plus intimes, entre continu et discontinu, mémoire et oubli. Périodiquement, il est donc possible, voire nécessaire, de refaire. De redire. Et dans la joie, s’il
vous plaît.
Cette révélation (dont vous aurez remarqué qu’elle constitue, en soi, un hapax) est belle et bonne. Mais ça n’a pas que des bons côtés, la répétition (4).
Par exemple, lire toujours la même chose sous la plume de ceux qui n’aiment pas nos musiques. Ou qui font exprès de ne pas cultiver le même humour que moi. Ou les pigistes qui charcutent
(mal) un dossier de presse pour récrire, en moins bien, des choses déjà écrites, pour s’épargner l’ennui d’assister au concert. Bref, il arrive qu’on rêve d’un Phénix particulier, qui ne
nous mettrait en bouche, ou sous la plume, ou ne nous gratifierait que de flamboyantes nouveautés.
Aussi, pour éviter de pesantes redites, et ainsi contribuer à un avancement infime mais certain de l’état général de l’humanité, j’imagine
volontiers un monde où de longs et ennuyeux débats seraient remplacés par une liste de quelques références – littéraires, philosophiques ou musicales - dûment choisies, destinées à
borner le champ d’une culture donnée. Nous nous les jetterions à la figure, d’un geste, comme on donne sa carte de visite, et nous saurions, d’un coup d’œil à notre interlocuteur, qu’il
a bien compris qui nous sommes. Après quoi nous pourrions de suite parler d’autre chose.
Je m’explique. Dans les facs de cinéma de mes années d’étudiant, quand vous débarquiez à Censier (Paris III), chez les structuralistes, on vous balançait « Aumont, Odin, Leutrat,
Bellour ! » et vous n’aviez plus qu’à digérer tout ça. Vous faisiez un pas de côté à la Sorbonne, chez les ethno-sociologues, et vlan ! « Griaule, Rouch, Leiris,
Ferro, Puiseux », Morin…Non !! pas Morin ! Vous vous trompiez, vous étiez mort. L’étage en-dessous, chez les surréalistes : « Kyrou, Benayoun, Virmaux,
Török ! » Un peu plus loin, chez les classiques : « Bazin, Prédal, Beylie » !! etc. La messe était dite, et l’imprudent apprenait vite à ne pas transvaser
n’importe quelle parole dans le bocal voisin.
De même dans une soirée d’apprentis économistes ou de sociologues du travail, tomber sur un « Minc, Sorman ! », lui rétorquer « Maris, Keynes, Gorz, Méda,
Friot ! », et voir s’il nous reste à partager ne serait-ce qu’un atome de civilisation. Et dans le trad ? Adolescent, je risquais de timides « Malicorne, Stivell,
Tri Yann » en face de « Cure, ACDC, Police », c’était d’une indéniable originalité mais ça manquait de muscles pour emballer. Et aujourd’hui ? Un peu de
« Pignol-Milleret » contre du « Poutoux » ? Un zeste de « Néo-Trad » contre un semi-remorque de « Gennetines », et à cheval ?
Ah. On me susurre dans mon oreillette que ça ne marche nulle part comme ça. Tout se partage. Mais pourtant, en 2008 encore, vous dégainiez dans une soirée mondaine un « Philippe
Val » en face d’un « Siné », vous perdiez tout de suite des points, voire des amis, et aucun argument de raison n’y faisait. Mais dans le trad, me dit-on, c’est fini les
années 70, à ma gauche Stivell, à ma droite Guilcher, et hardi petit, on ramassait les dents après le match. Aujourd’hui on est tous gentils. Ah, bon. Ben, je vais reprendre mon Nagra
et repartir sur le terrain.
C’est pas tout ça, mais on m’informe que, titillé par l’exil fiscal de Gérard Depardieu, Alan Stivell aurait demandé la nationalité française.
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